Debate swirls around a mosque in Nice

Article écrit par James McCauley et paru dans The Washington Post, le 24 janvier 2017. Nous vous proposons une traduction en français ci-après.

 

 

A mosque is at the center of a raw debate in the South of France

Traduction :

 

Une mosquée du Sud de la France est au centre d'un vif débat. La mosquée En-Nour se fait discrète quelque part à la périphérie de la ville de Nice. Elle est cachée dans un quartier d’affaires, à proximité de l’aéroport et de l’autoroute. Aucun élément ne trahit son identité, aucun signe ne permet de distinguer son entrée.

Pourtant, beaucoup de gens savent exactement où elle se situe, et certaines personnes sont même convaincues que la mosquée n’est pas à sa place. A deux reprises depuis son inauguration en Juin, des  riverains, dans le but d’humilier les fidèles, ont déposé devant la porte de la mosquée des têtes de cochon. Après cela, les autorités régionales ont repris leur forcing pour fermer la mosquée, après avoir tenté -mais échoué- d’empêcher l’ouverture de celle-ci pendant presque 15 années.

Ce modeste et atypique espace de culte est néanmoins le plus grand dans la région. Il est devenu le symbole de la situation précaire que vivent les musulmans de France, la plus importante minorité du pays, dans une société ébranlée par les violences terroristes et qui fonce tout droit vers une élection présidentielle qui marquera un tournant. Si la mosquée venait à fermer, cela voudrait dire que cette société, qui se dit fièrement laïque, violerait sa promesse de longue date de ne jamais faire de discrimination de race ou de religion parmi ses citoyens.

 

Or, une fermeture par la force est vraiment envisageable. Christian Estrosi, président du conseil régional de PACA, dont Nice fait partie, a annoncé ce mois-ci qu’il allait déposer un nouveau recours contre la mosquée. Estrosi, qui a été sportif motocycliste avant sa carrière politique, préférerait transformer la mosquée en crèche.

Pour les locaux, aussi bien les musulmans et que les non-musulmans, l’éclatement de ce conflit dans le Sud ensoleillé de la France n’est guère une surprise. Même si elle a la réputation d’être une destination pour les stars hollywoodiennes et les oligarques russes, la pittoresque Côte d’Azur fait partie des zones les plus sensibles à la guerre des cultures en France.

C’est ici que de très nombreux colons français et leurs descendants - connus sous le nom de « pieds noirs » - ont fini par s’installer après la sanglante guerre  d’Algérie au début des années 60. Parmi eux, le pourcentage de vote pour le FN, le parti d’extrême droite, est stupéfiant : environ 40%, selon les chiffres des dernières élections régionales.

 

C’est également ici que de nombreux musulmans Nord-Africains, principalement à la recherche d’opportunités financières, ont choisi de s’installer lorsqu’ils sont arrivés en France au cours des décennies suivantes. La rancœur à leur égard est profonde - encore davantage 50 années après l’arrivée de ces communautés respectives -, et l’implantation de la plus grande mosquée des environs n’allait jamais être un long fleuve tranquille.

Cela a été encore moins le cas après l’attentat terroriste du 14 juillet à Nice, quand un Tunisien local, revendiqué plus tard comme « soldat » par l’Etat Islamique, a foncé avec un camion de location à travers une foule de gens réunis pour célébrer la fête nationale française, tuant ainsi 86 personnes  et blessant des centaines d’autres.

La mosquée En-Nour venait juste d’ouvrir le mois précédent l’attentat, mais de plus en plus nombreux furent ceux qui ont commencé à penser qu’une grande mosquée - surtout quand celle-ci a été érigée dans un bâtiment  acheté initialement par le ministre Saoudien des affaires Islamiques - est une preuve évidente de l’incompatibilité fondamentale entre la République Française et la deuxième religion du pays.

Selon les propres mots d’Estrosi, peu de temps après : « Nous ne pouvons pas clamer partout et tout le temps la laïcité et en même temps dire que l’Islam et la démocratie sont parfaitement compatibles ».

 

A Nice, après l’attentat, ce discours a vite divisé : la première victime de l’attentat du 14 juillet est Fatima Charrihi, 62 ans, une musulmane  pieuse et dévouée qui fréquentait l’Institut En-Nour. Elle s’était engagée à célébrer son pays d’adoption sur la Promenade des Anglais avec son mari, son fils aîné et ses petits-enfants. « Ma mère avait dit à mes neveux : ‘Nous irons prendre une glace’ rappelle sa fille, Hanane Charrihi, 27 ans. Au final, elle n’aura jamais pris cette glace ».

Hanane, qui vit dans la banlieue parisienne avec son mari et ses deux enfants, se souvient, au cours d’une des dernières conversations qu’elle a eues avec sa mère juste avant la nuit où Fatima Charrihi nous a quittés, qu’elle était surprise par les caractéristiques de la nouvelle mosquée de Nice : confinée dans un quartier de bureaux et de concessions automobiles, loin du centre-ville.

 

Fatima, qui vivait à Nice depuis 1983, n’a pas eu le choix pendant des décennies : « elle priait dans des salles de prières, petites et improvisées », rappelle sa fille. Avant l’inauguration de la mosquée En-Nour, il n’y avait pas de lieu fédérateur pour rassembler la communauté musulmane de Nice lors des grandes fêtes ou lors d’événements communautaires majeurs.

« Elle me disait : ‘Oh, c’est beau, c’est magnifique, il y a beaucoup de lumière, de luminosité’ », raconte Hanane. Elle est depuis devenue la co-autrice d’un livre qui parle de sa mère, « Ma mère Patrie », paru la semaine dernière.

« Le sentiment de fierté d’avoir un propre lieu de culte » dit Mahmoud Benzamia, l’imam de la mosquée En-Nour, est la raison pour laquelle il a passé les 15 dernières années à se battre pour obtenir le droit d’ouvrir la mosquée. « C’est pour notre dignité », dit-il. « Les jeunes nous demandent, pourquoi les autres communautés ont des églises et des synagogues et nous, nous n’avons rien ? ».

« Ceci », dit-il en montrant la mosquée, « est supposé être un lieu qui donne satisfaction à la communauté musulmane et la rend fière et reconnaissante ». Mais malgré sa mission, la mosquée En-Nour reste modeste et discrète. En passant devant, rien ne permet de deviner qu’il s’agit d’une mosquée. Son design est simple : des dalles de béton et des baies vitrées tintées. Cela pourrait tout aussi bien être un cabinet de médecins ou une agence de voyages…

 

Mais cette esthétique a aussi ses avantages. Le cheikh Benzamia dit : « On ne peut pas faire abstraction de la réalité du monde qui nous entoure. Nos concitoyens Français n’accepteraient pas aussi facilement un lieu de culte religieux dans le centre-ville, tout simplement » dit-il. « C’est pour ça aussi que nous préférons être à la périphérie de la ville ».

Ces paroles, Hanane pourra les confirmer. Lorsqu’elle est allée avec sa famille déposer des fleurs en hommage à sa mère sur la promenade des Anglais, un homme n’a cessé de les chahuter, même après que Hanane lui a dit qu’elle avait perdu sa mère lors de l’attentat. Elle se souvient de la réponse de celui-ci : ‘tant mieux, ça en fait une de moins’.

 

En nous faisant visiter la mosquée, dont la structure rappelle celle de bureaux – lumières fluorescentes tamisées, sols en lino-, Benzamia a directement rappelé que les autorités locales ont accusé la mosquée d’être reliée au Wahhabisme ou à d’autres mouvements radicaux, dont la plupart sont fondés en Arabie Saoudite.

Mahmoud Benzamia explique : « la raison pour laquelle le ministre Saoudien des affaires Islamiques, le cheikh Saleh Bin AbdulAziz, a acheté ce bâtiment, est que la communauté musulmane n’avait pas les moyens financiers pour acquérir autre chose que des appartements reconvertis en salles de prières. Tout le reste, dit-il en montrant le mobilier, les livres, les salles de prière au décor spartiate, a été financé par les fidèles. »

 

En réponse à Estrosi qui affirme que lui et son équipe «  se posent encore la question de la légitimité d’un tel lieu de culte, dont le propriétaire est l’actuel ministre Saoudien des affaires Islamiques », Benzamia dit qu’il n’a reçu aucune instruction de la part de AbdulAziz ni de personne d’autre pour la gestion, les prêches, les cours ou autre.  D’ailleurs, Benzamia rappelle que toutes les activités se font à la fois en français et en arabe. « Nous vivons en France et nous respectons les lois de la République », dit-il. Estrosi n’a pas fait de commentaire malgré plusieurs relances.

De toute façon, le préfet des Alpes Maritimes Adolphe Colrat, avait déjà déclaré durant l’été que la mosquée En-Nour ‘ ne dépendait d’aucune influence étrangère’, et a donné son accord pour l’ouverture de celle-ci. Tout ceci alors que le pays a commencé depuis peu à s’attaquer aux mosquées fondées et financées par des étrangers, dans sa lutte contre le terrorisme.

 

Hanane Charrihi a tenu à ce que les funérailles de sa mère aient lieu à la mosquée En-Nour. C’est ainsi, dans un atrium improvisé à l’intérieur de l’institut, qu’elle et sa famille ont accompli la prière mortuaire. 

 

« C’était important, parce qu’elle aimait beaucoup ce lieu », dit-elle. « Et c’était la dernière chose que l’on pouvait faire pour elle ».

 

BarakAllahou fikom.